Le Grand Débat sur le Mécénat
Article reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur
Les premiers rôles raflent tout sur la scène du mécénat.
de Sir Nicholas Hytner, directeur du National Theatre, Londres
Personne ne s’attend à ce que les arts échappent aux restrictions budgétaires du secteur public. Comme tous ceux concernés nous nous préparons à une période qui sera, au mieux, un challenge. En attendant il y a eu beaucoup de spéculation sur la possibilité de remplacer le système actuel de financement par le modèle américain, qui repose presqu’entièrement sur le parrainage privé.
Le Gouvernement s’est montré, d’après mon expérience, plus circonspect. Jeremy Hunt, Ministre de la Culture, parle de mécénat non pas comme alternative au financement public mais plutôt pour y être ajouté, et il a laissé entendre qu’il faudra 20 ans avant qu’un tel mécénat ne parvienne à un niveau qui permettrait aux arts de compter de façon vraiment sensible à un degré moindre sur l’investissement public.
Depuis de nombreuses années les institutions culturelles de premier rang agissent dans des relations chaleureuses et productives tant auprès de mécènes individuels qu’auprès des entreprises. Nous accueillons volontiers l’engagement du gouvernement d’encourager le mécénat, et nous avons hâte de voir des propositions substantielles. Personne dans le mode des arts en Grande Bretagne ne répugnerait le genre de crédit d’impôts proposé aux Etats Unis, où des milliards de dollars coulent tous les ans, non pas vers le service des impôts mais vers les institutions culturelles, envoyés par un groupe relativement réduit d’individus aisés. Il reste à savoir à quel point le Trésor en Grande Bretagne serait ravi de voir couler une réduction sur l’imposition à l’échelle des Américains.
Les prestigieux établissements de Londres sont devenus, dans tous les cas, de plus en plus adeptes à s’assumer financièrement. En 1980, 60 pour cent des revenus du National Theatre provenaient de l’Etat. En 2000, 50 pour cent ; aujourd’hui 30 pour cent. Cela s’explique en partie par le fait que notre chiffre d’affaires a doublé depuis huit ans alors que nous fonctionnons davantage comme une entreprise. Nous faisons rentrer £6 million par an en parrainage et dons, et nous ne nous classons loin du haut de tableau ; la Royal Opera House l’an dernier a fait rentrer£19 million.
Je suis néanmoins profondément inquiet que ce succès d’une poignée d’établissements avec pignon sur rue ayant gagné et faire rentrer des sommes considérables ne doive point donner l’impression que le mécénat des arts est de la tarte ! D’abord il a la relation symbiotique entre les dons privés et les subsides publics. Il est le cas de façon presqu’invariable que les sponsors privés gravitent vers ces mêmes établissements qui attendent de pied ferme les fonds publics. On comprend qu’ils soient attirés par la stabilité et le succès. Il n’est pas aisé pour les compagnies qui se battent pour joindre les deux bouts de faire venir des sponsors privés. Il n’est pas non plus facile pour les jeunes compagnies, aussi excitantes qu’elles ne se montrent, de trouver des personnes privées prêtes à parier sur leur avenir. La survie seule n’est pas plus attractive pour les donateurs individuels que ne le serait le risque d’échec.
Encore plus perturbante est la supposition que les institutions modestes à l’extérieur des grands centres auront la même expérience que le National Theatre , la Royal Opera House ou le British Museum. Les théâtres régionaux ont travaillé très dur pour créer des relations avec les entreprises de proximité et des parrains individuels, mais, dit de façon crue, le fric est à Londres. Au-delà de la capitale ; les théâtres seront frappés deux fois par les réductions, à la fois par les aides du Comité des Arts et par le soutien des institutions locales. Tout simplement, il n’y a aucune chance pour qu’ils réussissent à combler le vide avec les dons privés ; programme qui, en dehors de Londres, n’en est qu’à ses balbutiements.
Dans les grandes villes américaines, non seulement y a-t-il de l’argent mais en plus il y a une longue tradition de soutien pour les institutions culturelles ; et la récession a réussi même à mettre tout cela en péril. Des musées américains ont fermé leurs portes, des orchestres ont été dissouts, et rien que l’an dernier [2009] les dons à la culture ont chuté de 3,2 %.
La situation est tout aussi périlleuse pour les compagnies théâtrales expérimentales plus petites, y compris à Londres. Tout à fait normalement, les sponsors privés s’intéressent aux exploits et le prestige de que l’on appelait autrefois les centres d’excellence. Il est grand temps de se rendre compte que l’excellence est un but partagé par tous ceux que travaillent dans les arts, et que l’on l’atteint dans les endroits les plus inattendus. Aussi, les puissantes institutions comptent entièrement sur le régional d’aujourd’hui pour les plus grands talents de demain.
Des réductions à tout va dans les arts frapperaient encore plus fort les compagnies plus modestes et les régionales. Beaucoup d’entre elles fermeraient tout simplement. L’impact serait d’abord sur les communautés qu’elles servent mais très rapidement aussi sur les compagnies nationales. Tous les auteurs, metteurs en scène, dessinateurs et la grande majorité des comédiens se produisant actuellement au National Theatre ont connu leur début de carrière dans les régions ou dans les festivals off où ils ont engrangé l’expérience et l’expertise qui les caractérisent aujourd’hui.
C’est précisément cette expertise, cette confiance créative, qui a fait que l’économie de la créativité est restée le seul secteur de l’économie du pays à fleurir et à croître durant les quelques dernières années. Lors d’une réunion au Trésor la semaine dernière le Ministre des Finances a reconnu que le secteur de la création est à présent aussi important que le secteur financier. Cela n’a pas dû lui échapper que celui-là a occasionné, à lui et à ses prédécesseurs, beaucoup moins de migraines. Notre économie des arts continue à figurer en authentique meneur à l’avant-garde du monde. C’est au centre que l’on trouve le réseau des institutions au financement public qui est sa salle des machines.
Il y a trop de domaines dans l’ambition de la nation où nous pansons nos plaies et reconnaissons dans un rictus attristé que nous ne faisons plus le poids ; cependant notre prééminence internationale dans le secteur de l’entreprise créative est largement célébrée. Le reste du monde nous prendrait pour fous si nous devions affaiblir précisément la partie de notre économie qui non seulement fonctionne mais qui est resplendissante. Je ne doute pas que les arts ont suffisamment l’étoffe pour absorber une partie du mal et j’espère que le Gouvernement travaillera à nos côtés afin de développer un projet raisonnable de longue durée pour assurer non seulement la survie mais la prospérité dans les quelques années à venir. Bien que nous ne soyons pas plus petits que le secteur financier, il n’y a aucun risque que nous précipitions la chute de l’économie en général et un grand espoir que nous puissions être à l’avant-garde de la reprise.
THE TIMES, vendredi 16 juillet 2010.